• Chansong 28

    AU PAYS DES MERVEILLES DE JULIET

    Yves Simon   (1973)

    Yves Simon s'est fait connaître en 1973 avec cette chanson originale et innovante, d'une fraîcheur sophistiquée. Un refrain, entêtant, digne d'une comptine enfantine, encadre des couplets riches de références plus ou moins transparentes, dits plutôt que chantés par l'auteur (comment appelle-t-on ça, un récitatif peut-être ?)...

    Juliet, c'est bien sûr Juliet Berto. La rime imposait les pâquerettes. Si elle s'était appelée Camille, on aurait cueilli des jonquilles, Clarisse des narcisses, etc. Il valait donc mieux qu'elle s'appelât Juliet.

    On ne va pas jouer à imiter "Gala" ou "Voici", mais il semble bien que quelque chose se soit noué entre Juliet Berto et Yves Simon sur le tournage d'ERICA MINOR, film de Bertrand Van Effenterre où ils sont partenaires, et même en couple. Film sorti en 74 mais forcément tourné avant...   

    D'emblée, la référence emblématique à Lewis Carroll, annoncée par le titre, prend une place prépondérante. Juliet Berto a-t-elle jamais interprété une chanson inspirée d'ALICE, on l'ignore mais ces "quatre ailes rouges sur le dos" ont une tonalité surréalisante proche du révérend rêveur.

    L'autre référence majeure est celle de Godard, qui aimait tant Céline qu'il a donné le prénom de Ferdinand au personnage de Belmondo dans PIERROT LE FOU ("J'm'appelle Ferdinand, nom de Dieu"). Yves Simon lui rend la pareille, rappelant que c'est Godard qui nous fit decouvrir Juliet dans LA CHINOISE, en compagnie de Jean-Pierre Léaud et Anne Wiazemsky. Le film date de 67, mais est-ce une erreur d'évoquer à son propos "les vieux écrans de 68" ? Pour un film aussi prémonitoire, c'est plutôt un symbole.

    Ce qui est plus curieux, c'est que JB ne mange jamais de frites dans LA CHINOISE ! Où il n'y a pas de café, le film étant presque entièrement tourné dans le huis clos d'un appartement. Par contre, elle a une scène dans un café dans DEUX OU TROIS CHOSES  QUE JE SAIS D'ELLE (qui date aussi de 67). L'amusant, ce sont les connexions Godard-Carroll, car il y a un grand miroir, précisément, dans ce café, qui permet à Yves Simon de citer DE L'AUTRE COTE DU MIROIR. J'ajoute qu'il y a dans LA CHINOISE (minute 22 si vous voulez vérifier) la reproduction d'un dessin représentant Alice à la porte de Wonderland. La même année toujours, dans WEEK END (67) un chapitre s'intitule "De l'autre côté de Lewis Carroll". Jean Yanne et Mireille Darc y croisent une jeune fille victorienne qu'on appelle Emily Bronte, mais qui porte le costume d'Alice.

    Pour finir, le couplet de "mise en garde" contre le miroir aux alouettes hollywoodien ne semble guère s'appliquer à une Juliet qui ne s'y est guère laissée prendre, à moins qu'elle ait tout simplement écouté le conseil qui lui était donné par la chanson.

     

    Paroles

    Vous marchiez Juliet au bord de l'eau,

    vos quatre ailes rouges sur le dos
    Vous chantiez Alice de Lewis Carroll
    Sur une bande magnétique un peu folle

    Maman on va cueillir des pâquerettes
    Au pays des merveilles de Juliet

    La la la la la la la la
    La la la la la la la la

    Sur les vieux écrans de soixante-huit,

    vous étiez Chinoise, mangeuse de frites
    Ferdinand Godard vous avait alpaguée
    De l'autre côté du miroir d'un café

    Maman on va cueillir des pâquerettes
    Au pays des merveilles de Juliet


    La la la la la la la la
    La la la la la la la la

    Dans la tire qui mène à Hollywood,

    vous savez bien qu'il faut jouer des coudes
    Les superstars et les petites filles de Marlène
    Vous coinceront Juliet dans la nuit américaine

    Maman on va cueillir des pâquerettes
    Au pays des merveilles de Juliet

    Maman on va cueillir des pâquerettes
    Au pays des merveilles de Juliet

    La la la la la la la la
    La la la la la la la la


  • Commentaires

    1
    GT
    Mardi 6 Octobre 2015 à 09:46

    Magnifique chanson totalement intemporelle.

    Je regrette Yves Simon chanteur.

     

    2
    Bernard
    Mardi 6 Octobre 2015 à 12:27

    Première lecture de ce texte pour moi. C'est le genre de chansons qu'on peut écouter dix fois en ne retenant qu'un mot par ci par là, une expression, et c'est bien comme ça, la pure poésie, des évocations personnelles, la fenêtre ouverte...

    Bon, maintenant que je sais que ça parle du "cinéma" (?!)  de Godard et de cette Juliet inconnue, ça me plaît déjà beaucoup moins que lorsque je n'y rencontrais que Juliette.  

    C'est mal ce que tu fais, Gérard!

      • Mardi 6 Octobre 2015 à 13:06

        Bernard, c'est un vieux discours : à bas la connaissance, vive l'ignorance, c'est tellement plus "poétique" !

        Je n'en crois pas un mot...

        (et faut-il te croire quand tu prétends que tu ne connaissais pas Juliet B.?)

    3
    Bernard
    Mardi 6 Octobre 2015 à 16:09

    Pas du tout. Juste quand l'ignorance (??) est tristement remplacée par... Godard! Exit le rêveur, révérend ou non.

    Je connais des tas d'autres Juliette, pas celle-là.

    Ah, tu es vraiment incorrigible, cher Gérard, avec tes décorticages! Mais je me tais, c'est ton bon plaisir...

    4
    Oo
    Jeudi 8 Octobre 2015 à 12:35

    Merveilleuse "Juliet B." à la bouille boudeuse, tellement talentueuse (comédienne, réalisatrice), s'est envolée trop vite... peut-être à cause de ses "quatre ailes rouges"?

    Très différente de Juliette B. inoche...

     

    5
    Samedi 10 Octobre 2015 à 23:37

    A propos des "quatre ailes rouges" surréalisantes, mon ami Roberto soulève une hypothèse : peut-être Juliet possédait-elle dans la vie une 4L (voiture) de couleur rouge ?

      • Lundi 19 Octobre 2015 à 01:19

        Finalement, Roberto dit s'être trompé car il a découvert une interview d'Yves Simon, dont voici un extrait : 

        Moi, j'aime bien rassembler des tas de choses qui viennent des sciences, de la littérature, de la musique, mais qui se transforment, évidemment, et que l'on voit ou devine si on a le même bagage culturel. C'est presque un jeu: on peut découvrir les allusions et, si on ne les découvre pas, ce n'est pas grave. "Au pays des merveilles de Juliet", par exemple, pour prendre un exemple éloigné, commence par "Vous marchiez Juliet au bord de l'eau/Vos quatre ailes rouges sur le dos". Le bord de l'eau, en fait, et personne ne peut le voir, c'est une allusion à "L'Arrache-Cœur" de Boris Vian où la rivière est rouge. Puis "Vous chantiez Alice de Lewis Caroll/Sur une bande magnétique un peu folle", c'est parce que Juliet Berto, avec qui je venais de tourner un film, m'avait donné une cassette sur laquelle elle racontait "Alice au pays des merveilles" à sa nièce. Vous voyez, c'est intéressant si on décode tout, mais ça fonctionne aussi tel quel. 

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