• C'EST EXTRA

    Léo Ferré     (1969)

    Avec le temps, je m'aperçois que j'ai toujours aimé décortiquer les chansons. Je me souviens d'une analyse fouillée de MAO ET MOA de Nino Ferrer, que mes camarades de Télérama avaient pris au sérieux, et puis d'une autre où je décelais toutes les allusions sexuelles de AU CLAIR DE LA LUNE... Plus récemment, je me suis attaqué à C'EST EXTRA, le "tube" de Léo Ferré, dont j'ai toujours apprécié la superbe musique tout en restant très réservé sur les paroles.

    Exceptionnellement, je vous présente telle quelle cette petite réflexion, qui date maintenant de quelques années,  entrecroisant les paroles de Ferré et mes propres observations, dont j'assume évidemment l'impertinence. Let's go !

     

                                      Une robe de cuir comme un fuseau 
                           Qu'aurait du chien sans l'faire exprès 
     
    Une robe qui a du chien, je veux bien. 
    L’image du fuseau, OK, je suis indulgent, c’est le début 
    (il y avait jadis des pantalons « fuseau »). Une robe 
    pourquoi pas, puisqu’elle « ne le fait pas exprès ». 
    Quoiqu’on ait rarement vu une robe faire quelque 
    chose exprès !
     
                           Et dedans comme un matelot 
                           Une fille qui tangue un air anglais
     
    Alors là, on compare la fille à un matelot, mais ça tangue 
    un matelot ? Un bateau ça tangue, mais un matelot a 
    intérêt à rester droit et ferme, à avoir « le pied marin ». 
    Sinon, on comprend que si elle tangue c’est qu’elle danse… (tanguer/tango ?)
                           C'est extra 
                           Un moody blues qui chante la nuit 
                           Comme un satin de blanc marié 
                           Et dans le port de cette nuit 
                           Une fille qui tangue et vient mouiller
     
    Donc, cet air anglais, c’est le tube des Moody Blues, 
    « Nights in white satin ». Traduit en français à 
    l’époque pour Marie Laforêt : « Nuits de satin blanc », 
    ça explique que les trois mots se suivent. Mais 
    u'est-ce qu’un satin blanc qui chanterait ? Et qui, 
    par ailleurs, serait marié ? Difficile à comprendre, 
    en tout cas c’est la nuit (pas très riche, la rime !) 
    et on reprend la métaphore du tangage, avec une 
    allusion sexuelle assez énorme. Très malin, le 
    : réussir à faire passer ça aux heures de grande écoute 
    alors que « Je t’aime moi non plus » ne passait que la nuit… 
     
                           C'est extra c'est extra
                           C'est extra c'est extra
                           Des cheveux qui tombent comme le soir 
                           Et d'la musique en bas des reins 
                           Ce jazz qui jazze dans le noir 
                           Et ce mal qui nous fait du bien 
     
    La fille a les cheveux longs, c’est évocateur, 
    d’accord, donc ils tombent, et il est vrai que le 
    soir tombe, lui aussi. On croyait que c’était déjà 
    la nuit, mais ce n’est pas grave. La musique 
    « au bas des reins », ça nous rappelle le motif 
    érotique (ne pas oublier l’essentiel). 
    Pas mal, le jazz qui jazze, hé hé ! Sauf que les 
    Moody Blues c’est de la pop, absolument pas 
    du jazz. Une bonne trouvaille ensuite : « ce 
    mal qui nous fait du bien », assez durassien 
    ma foi. (Cf. Hiroshima mon amour, « Tu me 
    tues, tu me fais du bien ».) C’est limite plagiat, ça.
     
                           C'est extra 
                           Ces mains qui jouent de l'arc-en-ciel 
                           Sur la guitare de la vie 
                           Et puis ces cris qui montent au ciel 
                           Comme une cigarette qui prie
     
    Des mains qui jouent de l’arc-en-ciel ! 
    « ça n’existe pas, ça n’existe pas », chanterait Gréco.
    Figurer la variété des sons par celle des couleurs, 
    c’est osé, mais bon. On me permettra de trouver 
    légèrement emphatique la « guitare de la vie ». 
    à la cigarette qui « prie », je suis perplexe. 
    A l’écoute de la chanson, une fois sur deux je 
    comprends « Une cigarette qui brille », ce qui 
    serait plus logique, mais plus pauvre sur la rime. 
    Mais alors, comment une cigarette peut-elle prier ?  
    Est-ce une allusion à la fumée de l’encens qui 
    monte au ciel, elle aussi ? On va le voir, il y a 
    du religieux dans cette chanson pro-fan.
                           C'est extra c'est extra 
                           C'est extra c'est extra
                           Ces bas qui tiennent haut perchés 
                           Comme les cordes d'un violon 
                           Et cette chair que vient troubler 
                           L'archet qui coule ma chanson
     
    Les bas, c’est plaisant, mais en quoi les cordes 
    d’un violon sont-elles haut perchées ? Disons 
    qu’elles sont bien tendues. Dans ce cas, ne 
    seraient-ce pas plutôt les jarretelles qu’on peut 
    comparer à des cordes ? Enfin, on arrive à la 
    chair, l’archet poursuivant l’image du violon, 
    même si on peut s’interroger sur ce que signifie 
    couler une chanson… Couler reprend-il l’image 
    précédente du bateau dans le port ? (ce serait 
    assez pessimiste). Ou signifie-t-il que sa 
    chanson est coulante, fluide, suave ? 
     
                           C'est extra 
                           Et sous le voile à peine clos 
                           Cette touffe de noir jésus 
                           Qui ruisselle dans son berceau 
                           Comme un nageur qu'on n’attend plus
     
    Alors là, toujours gonflé, le Léo. Il avait déjà fait 
    le coup de la métaphore sexuelle avec « Jolie 
    Môme » (« T’as qu’une source au milieu / 
    Qu’éclabousse du bon Dieu », toujours aux 
    heures de grande écoute !) et on note sa 
    persévérance : le côté divin du sexe féminin, 
    du bon Dieu on passe à Jésus. Car enfin, ce 
    n’est pas une qualité de papier, ni du saucisson ! 
    C’est noir, c’est une touffe, sous un voile, pas 
    trop serré – car la fille aime être à l’aise. Le 
    berceau douillet s’accorde au nouveau-né 
    (le petit Jésus) et notre poète persiste et signe : 
    la fille ne se contente plus de mouiller, elle 
    ruisselle ! Et même, elle ruisselle comme un 
    nageur. Qui est ce nageur ? Le matelot de tout 
    à l'heure qui s’est jeté à l’eau ? Admettons-le, 
    mais en quoi un nageur ruisselle-t-il ? 
    Transpiration ? Ou simplement remue-t-il de
    l’eau ? Et pourquoi diable ne l’attend-on plus ? 
    Y aurait-il des nageurs qu’on attend encore, 
    comme le marin qu’attend la Paimpolaise, 
    et d’autres qu’on n’attend plus : on pense 
    qu’ils se sont noyés, on a fait une croix dessus. 
    Ce qui nous ramènerait, notons-le, à Jésus. 
    Et s’il y avait une cohérence cachée dans tout ça ?
                           C'est extra c'est extra 
                           C'est extra c'est extra
                           Une robe de cuir comme un oubli 
                           Qu'aurait du chien sans l'faire exprès 
                           Et dedans comme un matin gris 
                           Une fille qui tangue et qui se tait 
     
    Le fuseau a cédé la place à l’oubli. Qu’a-t-on 
    donc oublié, ou qui ? Peut-être le matelot noyé, 
    puisqu’on ne l’attend plus. Mais en quoi peut-on 
    assimiler la robe à un oubli, un vêtement à un 
    état d’âme ? En tout cas, elle a toujours le 
    même chien (répétition du vers, pour renforcer 
    le côté cyclique de la chanson). Et la fille ne 
    cesse pas de tanguer, mais cette fois « comme 
    un matin gris ». Je me suis longuement 
    interrogé sur la possibilité de tanguer, quand 
    on est un matin gris. J’avance une hypothèse : 
    tanguer, c’est hésiter. Un matin gris peut 
    devenir bleu, c’est donc une image de cette 
    hésitation. Bref, ce n’est pas la fille qui 
    nous le dira car brusquement elle se tait 
    (comme Léo va bientôt le faire). Avait-elle 
    parlé précédemment ? Non, les cris qui 
    montent au ciel n’étaient pas les siens, 
    sans doute ceux des habitués de la boîte 
    de nuit. Disons alors que la fille continue de se taire, voilà tout.
     
     
                           C'est extra 
                           Les moody blues qui s'en balancent 
                           Cet ampli qui n'veut plus rien dire 
                           Et dans la musique du silence 
                           Une fille qui tangue et vient mourir
     
    Les Moody Blues s’en balancent : balancer, 
    est-ce une allusion à un rythme (« swing ») 
    qui n’est pas propre à ce groupe, d’ailleurs, 
    ou bien à cette hésitation dont je parlais 
    ci-dessus ? Est-ce ce l’indifférence ? 
    (comme le film avec Eddie Constantine : 
    « Les Femmes s’en balancent »)… 
    Mais ils se balanceraient de quoi ? De la fille 
    qui tangue et qui mouille ? Car c’est un 
    disque, ou une bande magnétique, ils sont loin, 
    ils sont à Londres, les Moody Blues, 
    ça leur est bien égal ce qui arrive à la fille 
    à cause de leur musique, de leur air anglais ! 
    Et l’ampli « ne veut plus rien dire », il se tait, 
    comme la fille. Aurait-il une panne ? 
    Vous allez me traiter de parano. Mais en 
    français, quelque chose qui ne veut rien dire, 
    c’est quelque chose qui n’a aucun sens. 
    Comme la chanson de Léo ? Ne me faites 
    pas dire ce que je n’ai pas dit. Le vers 
    suivant aurait tendance à faire penser 
    que c’est au premier degré : l’ampli s’est 
    tu, la chanson est finie, quoi. Et la « musique 
    du silence », c’est comme si on disait 
    que le silence après les Moody Blues 
    et encore du Moody Blues. La fille n’en
     continue pas moins de tanguer, mais en 
    silence ça ne peut plus durer longtemps : 
    elle « vient mourir ».
    Qu’est-ce à dire ? Tombe-t-elle, poupée inanimée ? 
    S’éteint-elle comme la flamme de la cigarette 
    qui ne prie plus, ni ne brille ? Quoi qu’il en soit, 
    c’est très astucieux. Léo a retenu la leçon 
    d’Edgar Poe à propos de son « Corbeau » : 
    rien de plus émouvant que la mort d’une jeune 
    et belle femme. On ne sait pas si la fille est 
    jeune et belle, mais on s’en doute. On est 
    donc triste qu’elle meure. Mais cette tristesse 
    rejoint une certaine volupté, un réel plaisir, 
    que le chanteur (qui s’en balance ?) se régale 
    à répéter encore quatre fois : « C’est extra ! »
                           C'est extra
                           C'est extra 
                           C'est extra
                           C'est extra

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  • BETTER OFF DEAD

    Elton John  (1975)

    By Jove ! pas encore mis Elton John dans cette (modeste) encyclopédie permanente. Grâce à la lecture aléatoire de mon disque dur, qui me réserve parfois des surprises, je tombe sur ce titre qui a toujoirs été un de mes préférés, mais que je n'avais pas entendu depuis un siècle.

    Dès l'ouverture, ces accords de piano, martelés par Elton comme un vrai Jerry lee Lewis, font la liaison entre le rock et la pop. On est emporté d'emblée, et j'avoue que cela m'avait suffi. Avais-je bien compris le titre, BETTER OFF DEAD. Mieux que mort, ou "il vaudrait mieux être mort", sans doute. Je ne me trompais pas trop.

    Une rapide recherche m'a fait découvrir que les paroles, sur lesquelles je ne m'étais pas attardé à l'époque, évoquent les sorties nocturnes de EJ & Bernie Taupin, après de longues journées d'enregistrement en studio, quand ils échouaient dans un 'burger bar' envahi d'eune faune hétéroclite... Bon, je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai désormais tout compris de ce texte où compte surtout l'atmosphère de ce bar et des rues avoisinantes peuplées d'épaves, d'ivrognes et de prostituées. Un peu mieux cependant que la "traduction" dénichée par vous sur le Net et que je joins ci-dessous, ne serait-ce que pour vous arracher un sourire.

    (pour écouter d'autres versions que celle du disque, voir :

    http://www.songfacts.com/detail.php?id=9490)

    Paroles

    There was a face on a hoarding that someone had drawn on
    And just enough time for the night to pass by without warning
    Away in the distance there's a blue flashing light
    Someone's in trouble somewhere tonight
    As the flickering neon stands ready to fuse
    The wind blows away all of yesterday's news

    Well they've locked up their daughters and they battened the hatches
    They always could find us but they never could catch us
    Through the grease streaked windows of an all night cafe
    We watched the arrested get taken away
    And that cigarette haze has ecology beat
    As the whores and the drunks filed in from the street

    'Cause the steams in the boiler the coals in the fire
    If you ask how I am then I'll just say inspired
    If the thorn of a rose is the thorn in your side
    Then you're better off dead if you haven't yet died

     

    Better Off Dead (Le Meilleur De La Mort)

    There was a face on a hoarding that someone had drawn on
    Il y a un visage sur un panneau que quelqu'un avait dessiné
    And just enough time for the night to pass by without warning
    Et juste assez de temps dans la nuit pour continuer son chemin sans alerter
    Away in the distance there's a blue flashing light
    Tout au loin, il y a une lumière bleue étincelante
    Someone's in trouble somewhere tonight
    Quelqu'un est en difficulté quelque part dans la nuit
    As the flickering neon stands ready to fuse
    Alors que le néon moucheté est prêt à éclater
    The wind blows away all of yesterday's news
    Le vent emporte au loin toutes les infos d'hier

    Well they've locked up their daughters and they battened the hatches
    Eh bien, ils ont enfermé leurs filles et ils se préparent à affronter la crise
    They always could find us but they never could catch us
    Ils pourront toujours nous trouver mais ils ne pourront jamais nous attraper
    Through the grease streaked windows of an all night cafe
    A travers la fenêtre recouverte de buée d'un café ouvert toute la nuit,
    We watched the arrested get taken away
    Nous avons regardé les suspects être emmenés
    And that cigarette haze has ecology beat
    Et la brume de cigarette a un coup écologique
    As the whores and the drunks filed in from the street
    Comme les putains et les alcooliques qui comblent les rues

    `Cause the steams in the boiler the coals in the fire
    Car les vapeurs dans la chaudière, les charbons dans le feu
    If you ask how I am then I'll just say inspired
    Si tu te demandes comment je suis, je te dirais juste que je suis inspiré
    If the thorn of a rose is the thorn in your side
    Si l'épine d'une rose est l'épine dans ton flanc
    Then you're better off dead if you haven't yet died
    Alors tu es le meilleur de la mort si tu n'es pas encore mort


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  • COMME UN BOOMERANG

    Dani & Etienne Daho  (2001)

    Parmi les innombrables chansons composées par Gainsbourg "pour les autres", on a souvent tendance à oublier celle-ci, dont l'efficacité est à la mesure de sa simplicité - recette incontestable du tube. L'évidence est de mise, et nous n'allons donc pas savamment l'analyser.

    Mais l'histoire de ce titre est riche d'enseignement. C'est en 1975 que la chanteuse Dani demande à Gainsbourg de lui composer une chanson. L'année précédente, la mort de Pompidou l'a empêchée de participer au concours de l'Eurovision. Se présentant à nouveau, elle tient à mettre toutes les chances de son côté. Dix ans après POUPEE DE CIRE, POUPEE DE SON, qui a fait triompher France Gall en 1965. Résultat : COMME UN BOOMERANG.

    Mais voilà, Antenne 2 (aujourd'hui France 2), qui diffuse la soirée, censure la chanson dont le titre est jugé "provocateur et connoté sexuellement". Il faut bien chercher pour en dénicher les raisons. Sans doute Gainsbourg a-t-il entretemps gagné une réputation sulfureuse à cause des SUCETTES ?  Il est bien question de "s'aimer comme des dingues" et d'avoir "sur le bout de la langue"... quoi ? un prénom !  Ces temps étaient rudes, même si Giscard semblait être d'une audace libertaire quand on le comparait au défunt Pompidou...

    Le morceau attendit longtemps dans les tiroirs de Vogue, enregistré par Dani seule et par Gainsbourg seul, et c'est longtemps après la mort de celui-ci, en 2001, qu'Etienne Daho l'exhuma pour le chanter en duo lors d'un concert avec une Dani à la voix plus qu'intéressante. Enregistré, COMME UN BOOMERANG fut enfin le tube qu'il était destiné à devenir.

     

    Paroles

    Je sens des boums et des bangs 
    Agiter mon cœur blessé 
    L'amour comme un boomerang 
    Me revient des jours passés 
    A pleurer les larmes dingues 
    D'un corps que je t'avais donné 

    J'ai sur le bout de la langue 
    Ton prénom presque effacé 
    Tordu comme un boomerang 
    Mon esprit l'a rejeté 
    De ma mémoire, car la bringue 
    Et ton amour m'ont épuisé 

    Je sens des boums et des bangs 
    Agiter mon cœur blessé 
    L'amour comme un boomerang 
    Me revient des jours passés 
    A s'aimer comme des dingues 
    Comme deux fous à lier. 

    Sache que ce cœur exsangue 
    Pourrait un jour s'arrêter 
    Si, comme un boomerang 
    Tu ne reviens pas me chercher 
    Peu à peu je me déglingue 
    Victime de ta cruauté 


    Je sens des boums et des bang 
    Agiter mon cœur blessé 
    L'amour comme un boomerang 
    Me revient des jours passés 
    A t'aimer comme une dingue 
    Prête pour toi à me damner 

    Toi qui fait partie du gang 
    De mes séducteurs passés 
    Prends garde à ce boomerang 
    Il pourrait te faire payer 
    Toutes ces tortures de cinglés 
    Que tu m'as fait endurer. 

    Je sens des boums et des bangs 
    Agiter mon cœur blessé 
    L'amour comme un boomerang 
    Me revient des jours passés 
    C'est une histoire de dingue 
    Une histoire bête à pleurer 

    Ma raison vacille et tangue 
    Elle est prête à chavirer 
    Sous les coups de boomerangs 
    Des flash-back enchaînés 
    Et si un jour je me flingue 
    C'est à toi que je le devrais


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  • L'OPPORTUNISTE

    Jacques Dutronc   (1968)

    S'il me fallait choisir un Lanzmann, ce ne serait certes pas Claude, mais plutôt Jacques. Je me souviens qu'il venait au festival d'Avoriaz, avec sa pipe. Il avait été rédacteur en chef de LUI, et qu'en tant qu'écrivain il fut l'auteur derrière Dutronc.

    Avait-on entendu auparavant les mots communisme ou socialisme dans une chanson ?  Il faut dire que L'OPPORTUNISTE est et reste LA chanson française de juin 68 (la québécoise étant LINDBERG, déjà citée ici). De quoi s'agit-il exactement? En mai 68, à partir du 24 surtout, et l'allocution manquée du général de Gaulle, ce fut la débandade dans les rangs de la droite. Les parlementaires dispersés, les ministères désertés. Beaucoup, sentant le vent tourner, s'étaient mis soudain aux abonnés absents, afin de préserver l'avenir. Certains allaient même proposer leurs services aux leaders de la gauche (François Mitterrand, Pierre Mendès-France).

    Et soudain, le 30 mai, changement d'atmosphère. De Gaulle intervient de nouveau, dissout l'Assemblée nationale et annonce de nouvelles élections. Dans les jours qui suivent, tous ceux qui avaient quitté le navire y reviennent et y fanfaronnent. Il faut bien car, ils le pressentent déjà, le résultat des élections de juin verra le triomphe de la réaction et confortera le régime gaulliste un temps menacé.

    Le texte de Lanzmann est d'une drôlerie féroce sur ces gaullsites-girouettes, avec une chute en forme de gag, remarquable (il fallait la trouver !). Je n'aurais qu'une réserve : lorsque j'écoutais Dutronc sur mon transistor, j'avais mal compris le vers "Je suis le roi des convertis". On est parfois trahi par  ses oreilles. Ma version, c'était "Je suis de Rome et converti". N'était-ce pas un peu mieux ?

     

    Paroles

    Je suis pour le communisme
    Je suis pour le socialisme
    Et pour le capitalisme
    Parce que je suis opportuniste

    Il y en a qui contestent
    Qui revendiquent et qui protestent
    Moi je ne fais qu'un seul geste
    Je retourne ma veste 
    Je retourne ma veste
    Toujours du bon côté

    Je n'ai pas peur des profiteurs
    Ni même des agitateurs
    Je fais confiance aux électeurs
    Et j'en profite pour faire mon beurre

    Il y en a qui contestent
    Qui revendiquent et qui protestent
    Moi je ne fais qu'un seul geste
    Je retourne ma veste 
    Je retourne ma veste
    Toujours du bon côté


    Je suis de tous les partis
    Je suis de toutes les patries
    Je suis de toutes les coteries
    Je suis le roi des convertis

    Il y en a qui contestent
    Qui revendiquent et qui protestent
    Moi je ne fais qu'un seul geste
    Je retourne ma veste 
    Je retourne ma veste
    Toujours du bon côté

    Je crie vive la révolution !
    Je crie vive les institutions
    Je crie vive les manifestations
    Je crie vive la collaboration !

    Non jamais je ne conteste
    Ni revendique ni ne proteste
    Je ne sais faire qu'un seul geste
    Celui de retourner ma veste 
    De retourner ma veste
    Toujours du bon côté

    Je l'ai tellement retournée
    Qu'elle craque de tous côtés
    A la prochaine révolution
    Je retourne mon pantalon

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  • LES MINES DE CHARBON

    Claude Nougaro   (1962)

    En ce temps-là, on écoutait religieusement et quotidiennement Salut les copains, sur Europe "N°1".  Contrairement à ce qu'on pense parfois, le programme ce n'était pas seulement du "yé-yé" : on y entendait régulièrement Brassens, Gainsbourg, puis les petits nouveau Escudero ou Nougaro.

    Plutôt que l'ultraconnue UNE PETITE FILLE, sur laquelle dithyrambait au micro Daniel Filippacchi, j'ai préféré LES MINES DE CHARBON (en vous demandant de pardonner les crachements du 45 tours vinyle que j'ai repiqué). Le parallèle est osé entre les mines de charbon et les boîtes de nuit parisienne, dont sont citées les plus célèbres de l'époque, le Club Saint-Hilaire et Chez Régine, où "tout se passe au fond"...

    On pourrait citer, pour l'analogie d'inspiration, le trop méconnu MAXIM'S de Gainsbourg. Même report jusqu'à la chute d'une considération "sociale" qui prolongeait pour S.G. celles du POINCONNEUR DES LILAS ou des DEMENAGEURS DE PIANO, mais en manière de litote... 

    Nougaro, bien sûr, s'amuse. Laissant à Michel Legrand la composition de la partition, les arrangements très enlevés et la direction de ses musiciens ("Michel Legrand et son ensemble") il jongle avec les mots, modulant toutes les équivalences du vocabulaire de la mine. Ayant l'habitude de sortir noir de ces night-clubs, il y rencontre une mineure qu'il prend par la taille, d'où un coup de grisou qui suscite les rires de la galerie... sans compter toutes les variations sur le mot mine !

      

    Paroles

    Au Saint-Hilaire ou chez Régine 
    Tout se passe au fond, au fond, au fond 
    C'est comme dans les mines 

    Comme dans les mines de charbon

    Ceux qui travaillent dans les mines
    Descendent blancs, remontent noirs
    C'est ce qui m'arrivait chaque soir
    Au Saint-Hilaire ou chez Régine
    J'y ai connu une mineure
    Avec une mèche de cheveux blonds
    Qui rayonnait contre son front
    Comme une lampe de mineur

    Au Saint-Hilaire ou chez Régine
    Tout se passe au fond, au fond, au fond
    C'est comme dans les mines
    Comme dans les mines de charbon

    Lorsque je pris sa taille fine
    J'en eus le grisou dans les mains
    Et des sueurs au creux des reins
    Comme les mineurs au fond des mines
    En l'aimant je prenais des risques
    Je savais que j'allais souffrir
    Moi qui ne pouvais lui offrir
    Que des diamants de tourne-disques

    Au Saint-Hilaire ou chez Régine
    Tout se passe au fond, au fond, au fond
    C'est comme dans les mines
    Comme dans les mines de charbon

    Un soir bien sûr elle fit des mines
    A une mine d'or, un joli cœoeur
    Je sentis un marteau-piqueur
    Qui me défonçait la poitrine
    J'ai compris que c'était le finale
    Je voyais se marrer la galerie
    C'est la première fois que l'on me vit
    Remonter au jour la gueule toute pâle

    Au Saint-Hilaire ou chez Régine
    Tout se passe au fond, au fond, au fond
    Mais je me dis en consolation
    Que pour en baver pour de bon
    Rien ne vaut les vraies mines de charbon

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  • LES GARS DE LA MARINE

    Comedian Harmonists   (1931)

    Quand j'étais petit, nous avions eu la permission d'aller fouiller le grenier, et nous y trouvâmes quelques 78 tours d'avant-guerre. Une de nos tantes avait eu la tuberculose, et pour la distraire on lui avait acheté un "phono". Parmi ces disques lourds, épais et fragiles, il y avait LES GARS DE LA MARINE, que je considérais vite comme mon préféré. Ma mère le chantait par coeur à tue-tête...

    Le groupe vocal des Comedian Harmonists l'interprétait avec un accent et, découvrant leur nom sur la rondelle centrale, je crus naïvement qu'ils étaient anglais, alors qu'il s'agit d'un groupe d'Allemands - dont la carrière a été retracée depuis par plusieurs films, le dernier était réalisé en 1997 par Joseph Vilsmaier.

    Aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, j'aimerais dédier cette chanson à mon ami Marcel Gotlib (il sait pourquoi), fervent admirateur des Comedian Harmonists. Cette brillante formation chorale eut une destinée chaotique : trois d'entre eux étant juifs, ils durent quitter l'Allemagne nazie en 1934, et le groupe explosa alors qu'ils étaient en pleine gloire.

    Chanson du film franco-allemand LA CAPITAINE CRADDOCK, LES GARS DE LA MARINE est une petite merveille de drôlerie et d'enchantement musical, avec ses trouvailles sonores, ses onomatopées (avec ma soeur nous comprenions toujours l'ouverture "y'a pantalon, et y'a petit pantalon..."), son fameux coup de sirène... et ses contrastes entre des voix si différentes et complémentaires.

    Paroles

    Voilà les gars de la Marine, 
    Quand on est dans les Cols Bleus, 
    On a jamais froid aux yeux. 
    Partout, du Chili jusqu'en Chine 
    On les reçoit à bras ouverts 
    Les vieux loups de mer . 
    Mais oui ! Quand une fille les chagrine , 
    Ils se consolent avec la mer. 
    Voilà les gars de la Marine, 
    Du plus p'tit jusqu'au plus grand , 
    Du mousaillon au Commandant . 

    Quand on est matelot, 
    On est toujours sur l'eau. 
    On visite le monde ; 
    C'est le métier le plus beau . ( bis ) 
    Du pôle sud au pôle nord, 
    Dans chaque petit port, 
    Plus d'une fille blonde, 
    Nous garde ses trésors. ( bis ) 
    Pas besoin de pognon, 
    Mais comme compensation, 
    A toutes nous donnons, 
    Un p'tit morceau d'nos pompons . 

    Les amours d'un Col Bleu 
    Ça n'dure qu' un jour ou deux, 
    A peine le temps de s'plaire 
    Et de se dire adieu. (bis) 
    On a un peu de chagrin, 
    Ça passe comme un grain. 
    Les plaisirs de la terre 
    C'est pas pour les marins (bis) 
    Nous n'avons pas le droit 
    De vivre sous un toit . 
    Pourquoi une moitié 
    Quand on a le monde entier . 




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  • DESIR, DESIR

    Laurent Voulzy & Véronique Jannot   (1984)

    Une chanson sur la chanson, bien d'autres l'avaient tenté, de Brel à Nougaro en passant par les Beatles. Laurent Voulzy et Alain Souchon l'ont parfaitement réussi avec cette dissection de la chanson d'amour populaire, celle qui fait les "tubes", et l'exploit est d'en avoir fait justement un tube - celui de l'été 64.

    Le texte, c'est bien du Souchon, même s'il est plus "sage" que de coutume. Commencer sa première phrase par un "Mais"...  Cette coquetterie de ne jamais prononcer LE mot "qu'on entend partout"...  Ces allitérations et ces calembours légers, quoique très signifiants ("l'hameçon d'âme soeur")... La trouvaille de cette charade, enfin...

    Et la composition de Voulzy met en valeur ces mots-là, comme toujours dans les oeuvres communes de notre tandem. Ajoutons-y cette apparition très en phase de l'actrice Véronique Jannot, qui sera sans lendemain mais qui colle parfaitement au projet.

     

    Paroles

    Mais toutes les chansons 
    Racontent la même histoire 
    Il y a toujours un garçon 
    Et une fille au désespoir 
    Elle l'appelle 
    Et il l'entend pas 
    Il voit qu'elle 
    Mais elle ne le voit pas 

    On en a fait des films 
    Et des tragédies divines 
    De cette situation 
    Des rocks et du spleen 
    Mélodie qu'on entend partout 
    Oh I need you baby 
    I need you baby 
    Baby yes I do {2x} 

    C'est toujours "toujours" qui rime avec ouh ouh 
    Cette chose-là il faut que tu devines 
    Mon premier c'est désir 
    Mon deuxième du plaisir 
    Mon troisième c'est souffrir ouh ouh 
    Et mon tout fait des souvenirs 

    Elle s'en colle des peintures 
    Du crayon sur la figure 
    Il se met des petites boucles d'oreille 
    Pour se donner des allures 
    On veut plaire 
    On veut des rendez-vous 
    Puis un jour c'est la guerre 

    Ce jeu là rend fou 

    Y a du danger des victimes 
    Un assassin assassine 
    L'assassin il faut que tu devines 
    Son premier c'est désir 
    Son deuxième du plaisir 
    Son troisième c'est souffrir oh oh 
    Et son tout fait des souvenirs 

    C'est du vague à l'âme teen-ager 
    Ou bien des nuits de désir à mourir 
    Pendu à l'hameçon de l'âme sœur 
    C'est toujours pousser des soupirs 
    ah ah... 

    Mais toutes les chansons racontent la même histoire 
    Cette histoire il faut que tu devines 
    Mon premier {2x} 
    Mon premier c'est désir 
    Mon deuxième du plaisir 
    Mon troisième c'est souffrir ouh ouh... 

    Mon premier c'est désir 
    Mon deuxième est plaisir 
    Mon troisième c'est souffrir ouh ouh... 

    Mon premier c'est désir 
    Mon deuxième du plaisir 
    Mon troisième c'est souffrir ouh ouh... {2x} 

    Et mon tout fait des souvenirs ouh ouh...


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